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Les jours, les semaines,

les mois continuent à s’écouler, lancinants. Les officiers et les hommes s’abrutissent,

apprennent à devenir de minutieuses machines à faire la guerre.

Dans les derniers jours

d’octobre 1943, La Grandière est convoqué d’urgence au bureau du colonel

Fourcaud. Tout en marchant en direction de la baraque de commandement, le

sous-lieutenant tente de récapituler dans son esprit la liste des « écarts »

qu’il a pu faire dans les jours passés.

« Asseyez-vous, mon

vieux. » Le colonel est souriant, La Grandière se rassure. « Il m’arrive

à l’instant un message de Londres, m’avisant que le capitaine Burin Des Roziers,

officier d’ordonnance du général de Gaulle, vient de contracter une mauvaise

jaunisse… »

Le colonel s’arrête, ménageant

ses effets, satisfait de voir La Grandière le dévisager, ahuri.

« Ça ne m’étonne

pas outre mesure, mon colonel, le général est tellement taquin, cela a dû finir

par taper sur le foie de son majordome. »

Fourcaud répond dans un

bon sourire : « Si j’étais vous, j’attendrais la suite de mon exposé

avant de me lancer dans des démonstrations spirituelles. »

La Grandière reprend son

sérieux.

« Excusez-moi, mon

colonel, je vous écoute.

— Donc, Burin Des

Roziers immobilisé à l’hôpital, puis contraint à une convalescence, l’intérim

de son poste se trouve vacant.

— Je vous suis

parfaitement, mon colonel, mais je ne vois pas en quoi cela peut me concerner.

— Nous y venons. Le

général compte sur vous pour assurer cet intérim. »

La Grandière se lève, médusé.

« Ce n’est pas

sérieux, mon colonel, c’est une mauvaise plaisanterie.

— C’est tout ce qu’il

y a de plus sérieux, mon vieux.

— Mais enfin, vous

connaissez la démarche que j’ai faite auprès du général il y a deux mois, le

mépris dont il a fait preuve vis-à-vis de moi…

— Je sais, je sais…

J’y ai songé. Il y a deux solutions pour expliquer son choix : la première,

c’est qu’au fond de lui-même il ait admiré votre courage, votre franchise, voire

votre fantaisie, votre physique, le nom que vous portez, mais à vrai dire je n’y

crois pas le moins du monde. La seconde me paraît beaucoup plus plausible :

c’est que, choqué par l’insolence de votre démarche et de vos propos, le Vieux

ait décidé de vous en faire baver.

— Ai-je la

possibilité de refuser, mon colonel ?

— Certes pas. »

La nouvelle se répand

comme une traînée de poudre. Le bataillon en prend connaissance dans un mélange

d’espoir et de franche rigolade. Cochin, Kérillis et Camaret se tordent carrément

de rire. Et lorsqu’ils accompagnent leur compagnon à la gare, ils lui remettent

un paquet contenant un cadeau, en prétendant s’être cotisés pour en faire l’acquisition.

Dans le train La

Grandière ouvre le paquet ; il contient une brosse à reluire, une boîte de

cirage et un chiffon de velours.

Le sous-lieutenant jette

le tout par la fenêtre, sous le regard hostile et choqué des trois sujets

britanniques qui partagent son compartiment. La Grandière se plonge alors dans

de profondes réflexions. Il cherche à élaborer un système qui lui permettrait

de se faire remercier sans encourir de sanction.

Lorsque le train entre

en gare de Waterloo, une foule d’idées lui sont venues, mais il a conclu qu’il

faudrait improviser, agir selon les événements.

Les rapports cordiaux et

amicaux que La Grandière entretient d’emblée avec le lieutenant Guy vont lui

permettre de concrétiser ses espoirs. Guy, sur le ton de la confidence, lui

explique ce que le général attend de son officier d’ordonnance, l’attitude qu’il

convient d’adopter. Dans un luxe de détails, il précise ce que de Gaulle

apprécie, le comportement qu’il affectionne ; Guy apprend également au

sous-lieutenant ce que le général réprouve, méprise, et exècre.

À l’énoncé des phobies

de son chef, La Grandière se montre particulièrement attentif.

Dans la matinée de l’entrée

en fonction du sous-lieutenant Roger de la Grandière, de Gaulle est en

conférence avec trois officiers supérieurs canadiens. De temps à autre il

réclame un dossier. La Grandière est alors censé se précipiter dans le bureau

attenant où le lieutenant Guy doit lui remettre les documents qu’il reviendra

poser sur le bureau du général. C’est en courant presque qu’il doit accomplir l’opération.

À plusieurs reprises, La Grandière fait preuve d’une nonchalance

je-m’en-foutiste. Poursuivant son entretien, de Gaulle semble ne pas s’en

apercevoir.

Les Canadiens prennent

congé.

Le lieutenant Guy avait

précisé : « L’une des choses qui le mettent hors de lui est que l’on

touche à quelque objet que ce soit sur son bureau. Déplacez une épingle ou un

trombone, et vous déclencherez un concert de hurlements. »

La porte à peine refermée

sur les visiteurs, La Grandière, cérémonieux, précis, avec les gestes affectés

d’un butler de grande maison se lance dans un éblouissant numéro de rangement

de bureau qui lui permet de toucher à tout. De Gaulle le contemple, muet. Le

sous-lieutenant vide alors les trois cendriers du bureau à la manière moins

protocolaire d’un maître d’hôtel de boîte de nuit : se servant d’un

cendrier vide, il couvre le plein, et renverse le tout d’un geste large.

« Eh bien, La

Grandière, tonne le général, vous comptez sans doute passer l’aspirateur après

cela ! »

Le sous-lieutenant feint

la surprise.

« Je vous demande

pardon, mon général, je pensais bien faire.

– Ne me prenez pas

pour un imbécile, et sortez ! »

À 13h30, de Gaulle

quitte son bureau. La Grandière le suit, tenant à la main une épaisse

serviette.

Le lieutenant Guy avait

expliqué : « Dans les escaliers, suivez le rythme et ne vous laissez

pas surprendre. Il est rapide. Lorsqu’il arrive à la sixième marche avant le

perron, vous le dépassez en courant, vous ouvrez la portière de gauche de la

Rover. Il s’engouffre ; le moteur tourne. Vous refermez la portière, puis,

toujours en courant, vous contournez la voiture par l’arrière. Elle démarre.

Lorsque vous parvenez à la portière de droite, vous l’ouvrez et vous montez en

marche. Vous vous installez à ses côtés, en refermant la porte. »

« Je comprends

parfaitement, avait raillé La Grandière, il y aura les reporters des Actualités,

j’espère qu’on pourra recommencer la scène si je rate mon coup au premier essai.

— Ne plaisantez pas,

mon vieux, c’est chaque fois pareil, il estime que chacune de ses secondes est

précieuse. »

La Grandière se tire

parfaitement de la première phase de l’opération. Il referme respectueusement

la portière sur le général, puis d’un pas de promeneur du dimanche, il

entreprend, nonchalant, de contourner le véhicule qui démarre, le laissant sur

la chaussée, contemplant la scène d’un air cagot.

La Rover freine dans un

crissement de pneus et fait marche arrière. La Grandière rejoint sa place.

« Veuillez m’excuser,

mon général, j’ai été surpris.

— Ce n’est rien. Votre

unité doit manquer d’entraînement physique, je vais y remédier. »

Dans les semaines qui

suivirent, La Grandière poursuivit consciencieusement ses démonstrations d’inaptitude.

L’entourage du chef de la France libre avait fini par se persuader que de

Gaulle s’en amusait, car tous étaient stupéfaits de voir le sous-lieutenant

conserver son poste.

Pourtant, un jour, la

coupe déborda.

Le général avait

recommandé qu’on ne le dérange sous aucun prétexte, avait condamné sa porte et

son téléphone. Descendant l’escalier, La Grandière croisa Pierre Bloch qui

montait tranquillement.

« Grands dieux !

Vous voilà enfin, s’exclama-t-il avec un sincère accent d’effroi. Il y a une

heure que je vous cherche partout. Le Général vous réclame à cor et à cri. Il

est au bord de l’apoplexie. Précipitez-vous, frappez et entrez sans attendre sa

réponse. »

Décomposé, Pierre Bloch

se précipita, frappa et entra.

Le soir même, le

sous-lieutenant Roger de la Grandière rejoignait à Camberley son unité et ses

amis.

Bretagne, 16 juillet

1944. Ferme de Boc-à-Bois. Roger de la Grandière laisse approcher la première

vague de S.S. Il est parfaitement camouflé derrière son mur ; le canon de

son arme est dissimulé par des branchages. À genoux, le sous-lieutenant observe

la progression de l’ennemi par une faille. Derrière, un léger glissement lui

parvient. Il se retourne. En trois bonds, l’adjudant Marie-Victor vient de

prendre place au second fusil mitrailleur.

« Je t’avais ordonné

de foutre le camp. Rejoins les autres ou je te fais passer le falot, grince La

Grandière, juste assez fort pour se faire entendre.

— Je t’emmerde, Roger,

réplique Marie-Victor, y en a marre ! C’est toujours les mêmes qui

rigolent !

— Nous aussi on aimerait

bien rigoler un peu, mon lieutenant. »

Enfreignant eux aussi

les ordres, le sergent Le Gall et le jeune Plouchard rejoignent par le côté

opposé.

« Vous vous croyez

malins, pauvres connards ! Vous courez après une citation ? Taillez-vous,

je ne me répéterai pas.

— C’est pas le

moment de discuter, mon lieutenant », réplique Le Gall en préparant des

grenades et en armant sa mitraillette.

D’un signe, il désigne

ensuite à Plouchard la place à laquelle il sera le plus efficace. La Grandière

n’a plus le temps d’insister, les Allemands sont à cinquante mètres.

« Que personne ne

tire avant moi. »

Les hommes lui jettent

tous les trois un regard surpris. Le sous-lieutenant se rend compte qu’il a

énoncé une évidence.

Les Allemands sont

attentifs et prudents, mais il est certain que leur chef ne s’attend pas à une

embuscade. La première ligne est serrée, ils sont bien une quarantaine à

avancer de front. À quinze mètres environ, La Grandière fixe une grosse pierre ;

il décide qu’au-delà d’elle les Allemands risquent de s’apercevoir de leur

présence. Un premier soldat passe la pierre, le sous-lieutenant ouvre le feu. Aussitôt

le fusil mitrailleur de Marie-Victor crépite, à une fraction de seconde. Les S.S.

tombent comme des quilles ; derrière la première vague, des hurlements se

font entendre, des ordres de repli fusent. Profitant de la surprise, Le Gall et

Plouchard se lèvent et jettent chacun deux grenades.

De la première vague, deux

ou trois hommes seulement ont réussi à se replier ; les autres gisent

morts ou hors de combat.

La Grandière comprend qu’ils

vont avoir un répit. Le temps qu’en face les chefs adoptent une nouvelle

tactique.

Une fois encore il tente

de convaincre les siens de décrocher.

« D’accord, on

décroche tous les quatre si tu veux », lance Marie-Victor.

La Grandière consulte

son bracelet-montre :

« Quatre minutes

quarante-cinq qu’ils sont partis, on serait rejoints à coup sûr. Avec Michel à

transporter, hors de question de cavaler. Il faut les retenir au moins une

demi-heure, mais pour ça un homme suffit.

— Je reste seul, si

tu veux, réplique Marie-Victor.

— Tu me fatigues !

— On va pas

remettre ça, intervient Le Gall. T’aurais pas plutôt une pipe, mon lieutenant ? »

La Grandière lance son

paquet, Le Gall s’en saisit au vol, prend une cigarette, puis sur un signe de

Marie-Victor le paquet voltige à nouveau.

Plouchard, le plus jeune

(il vient d’avoir dix-huit ans) tire en l’air une rafale de mitraillette.

« T’es malade, qu’est-ce

qui te prend ? jette, intrigué, le sous-lieutenant.

— Le père Constant,

mon lieutenant.

— Merde, je l’avais

complètement oublié celui-là !

— Vous voyez bien

qu’on sert à quelque chose ! Si ça ne tire pas, il va s’amener comme une

fleur. »

Constant Leguéné est un

fermier voisin. Il est le père de cinq enfants. La veille, à l’arrivée des

parachutistes, il se trouvait chez les Monnier. Avant de partir, il avait

promis d’être là le lendemain entre 7 et 8 heures avec du ravitaillement et un

médecin pour Michel de Camaret.

Un coup d’œil avait

suffi à la Grandière pour s’assurer que le paysan n’était pas de ceux qui

oublient, ou qui arrivent en retard à ce genre de rendez-vous. Et il était

maintenant 7 h 16.

Une dizaine de minutes s’écoulent.

Un silence oppressant éprouve les nerfs des parachutistes. Une pluie fine s’est

mise à tomber ; le sol déjà humide s’imprègne instantanément, devient boue.

« Mais qu’est-ce qu’ils

foutent, nom de Dieu, s’inquiète Plouchard.

— Je pense qu’ils

sont assez nombreux pour se diviser en trois groupes. En tout cas, ils n’ont

sûrement pas d’armes lourdes, sans ça on aurait déjà dégusté. »

Les quatre parachutistes

se relaient deux par deux pour guetter. Le sergent Le Gall scrute l’orée du

bois, perçoit des mouvements, mais rien ne peut être tenté.

« Ils s’agitent

derrière les arbres, déclare-t-il simplement.

— Évidemment !

Méfie-toi, ils vont chercher à balancer des grenades, et leur saloperie à

manche de bois, ils arrivent à les balancer de loin. »

À la seconde même où La

Grandière termine sa phrase, un S.S. a bondi. Trois pas en avant, puis sa main

droite va chercher son élan au plus loin derrière son corps. Le Gall l’atteint

en plein front. L’homme tombe en arrière. Il a lâché la grenade dégoupillée ;

dans sa chute, sa nuque la frappe ; l’explosion lui déchire le cou, fait

éclater son crâne. Les parachutistes détournent les yeux.

Aussitôt, simultanément,

six Allemands se précipitent dans le même mouvement. Les Français déclenchent

un tir continu, mais cette fois quatre grenades sont parties. Par miracle, elles

ne franchissent pas le mur. Trois des lanceurs sont parvenus à se replier, trois

sont restés sur place.

À nouveau c’est le

silence. À nouveau La Grandière consulte sa montre : 7 h 28. Le

sous-lieutenant imagine Camaret et ses porteurs qui s’éloignent à travers les

bois.

Surtendus par les assauts

avortés des lanceurs, les quatre parachutistes oublient le père Constant. Douze

minutes passent sans que la moindre évolution ne soit perceptible. Alors, débouchant

d’un sentier, Constant Leguéné arrive paisiblement, suivi de trois de ses fils,

des gamins de douze, onze et neuf ans. L’homme et les gosses ont les bras

chargés de victuailles. Ils sont surpris par les Allemands qui se débusquent, se

plaçant entre eux et le champ de tir des parachutistes.

« Halt ! »

Constant se retourne, lève

les mains, laissant tomber un paquet de quinze côtelettes qui s’éparpillent à

ses pieds.

« Courez tous les

trois ! Courez ! » hurle-t-il à ses fils.

Les gosses restent figés

sur place.

Derrière leur mur, les

quatre parachutistes assistent, impuissants, à la scène.

« Parachutistes

sortir ou homme et enfants kaputt ! ordonne un Allemand.

— Ne sortez pas !

hurle Constant. Ce sont des S.S. ! Ils nous tueront tous !

— Tire sur la

gauche, lance Marie-Victor à La Grandière. J’y vais.

— Je vais avec toi »,

avoue Plouchard.

Les deux parachutistes

sautent le mur et s’élancent. Ils courent mitraillette au poing, lâchant des

rafales devant eux. Entre leurs coups de feu, ils clament rageusement « Tirez-vous,

les mômes ! Courez, les enfants ! Tirez-vous, courez, nom de Dieu ! »

Les Allemands sont

surpris. Dans un réflexe, ils sautent à l’abri. Les gosses se mettent à courir,

tandis que Constant se jette entre les soldats et ses fils qui fuient.

De la gauche, une arme

automatique se déclenche. Plouchard est criblé de balles ; il s’effondre, tué

sur le coup. L’adjudant Marie-Victor est atteint d’une balle dans l’épaule, d’une

autre dans le gras de la cuisse. Il parvient pourtant à se traîner jusqu’au mur

et à le passer.

« Parachutistes, sortir !

braille à nouveau l’Allemand.

— Ne sortez pas !

Tout va bien, les gosses sont loin », gueule Constant.

Les coups partent. Le

brave paysan tombe à genoux. Les Allemands s’acharnent, tirent encore. Constant

bascule ; il gît mollement, expire dans un ultime soubresaut.

« Salopards ! »

hurle La Grandière dans un cri déchirant. Il se saisit du fusil mitrailleur qu’il

cale sur la saignée de son bras gauche. Sa main droite crispée sur la crosse, il

passe le mur et avance en tirant. Il se tient droit, marche à grandes enjambées.

« Reviens, crie Le

Gall, reviens, Roger ! C’est de la folie ! »

La Grandière n’entend

pas. Il avance. Maintenant il distingue des cibles. Trois Allemands, tombent

sous ses coups de feu. D’autres, plus téméraires, ripostent. La Grandière est

atteint d’une balle à l’aine. Il s’effondre. À terre, il change le chargeur du

fusil mitrailleur. L’arme a conservé son trépied déployé. Le sous-lieutenant s’en

sert comme d’un appui ; il soulève le fusil mitrailleur, l’avance de

quelques centimètres, puis de sa jambe droite encore valide, il pousse son

corps pour se retrouver en position de tir. il est insensible à la douleur de

sa blessure. Il n’a qu’une idée : avancer sur les Allemands. Dans leur

langue, il vocifère des insultes, tire, et reprend sa progression de crabe. Il

parvient à répéter trois fois l’opération avant de recevoir un nouveau chapelet

de balles en pleine poitrine.

Sa main droite se crispe

sur la crosse du fusil mitrailleur qui se vide dans la direction du bois. Puis,

doucement, La Grandière s’affale, pesant sur la culasse ; le canon se

soulève lentement et les derniers coups partent vers le ciel.

Sans arme, Le Gall

bondit à son tour. Il court à découvert en direction du sous-lieutenant. Trois

balles l’atteignent à la poitrine, l’épaule et la jambe. Par miracle, aucune n’est

mortelle.

Il est tombé à deux

mètres à peine de son chef, il tente en vain de ramper jusqu’à lui.

Roger de la Grandière s’est

retourné. Dans son mouvement, il a fait basculer le fusil mitrailleur qui lui

cale le dos, le maintient dans une position presque assise. Sa respiration n’est

plus qu’un râle sourd ; son menton et son cou sont maculés du sang qui s’échappe

de sa bouche.

Un groupe d’Allemands

déborde derrière le mur, constate la seule présence de l’adjudant Marie-Victor,

blessé et inoffensif.

Un second groupe s’avance

vers La Grandière et Le Gall. Ils vont les achever, quand un lieutenant

intervient.

Dans son poing il serre

un Parabellum. Les S.S. relèvent leurs armes.

La Grandière plonge son

regard dans les yeux du lieutenant allemand. Il n’a pas la force de parler, et

pourtant l’Allemand comprend lorsque le regard pâle du mourant se porte sur Le

Gall. Dans sa langue, le S.S. affirme :

« Ils seront

traités comme des prisonniers de guerre. »

La Grandière baisse les

paupières à deux reprises. Il a compris. Pourtant une ultime épreuve l’attend :

les trois fils Leguéné reviennent. En pleurant, ils marchent, inconscients, vers

eux, après s’être agenouillés près du corps de leur père. Le lieutenant S.S. hurle

un ordre ; en français un des soldats le traduit :

« Partez, les

enfants ! Allez vite ! Gourez ! Partez, vite… vite !… »

Les trois gamins

semblent sortir d’un cauchemar. Brusquement ils font volte-face et se mettent à

courir. Dans un effort surhumain. La Grandière les suit du regard.

Le lieutenant S.S. à son

tour regarde le sous-lieutenant français. À plat dans sa main, il présente son

Parabellum.

D’un signe des paupières,

La Grandière acquiesce. Puis son regard Hou tente une dernière fois d’apercevoir

les enfants dans leur fuite : ce ne sont plus que trois minuscules points

noirs qui dansent dans les blés.

Tiré à bout portant, le

coup de grâce lui fracasse la tempe.

Le Gall ferme les yeux ;

deux larmes glissent entre ses pommettes et les ailes de son nez. Sans bouger

son bras, il tourne son poignet, jette un coup d’œil sur sa montre, il est 7 h 48,

le sous-lieutenant Michel de Camaret a près d’une heure d’avance.

En 1947, en Indochine, un

bâtiment léger de la Marine nationale fut baptisé Roger-de-La-Grandière. Sans

en acquérir jamais la certitude, nombreux sont ceux qui restent persuadés que

la suggestion de ce baptême a pris naissance à Colombey-les-Deux-Eglises.

 

Qui ose vaincra
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